7

Raqat rejeta en arrière le rabat de l’entrée et abaissa les yeux. Dans les ténèbres du chon, Stavver était une brume pâle sur le cuir foncé. Elle arracha le rabat en position ouverte et revint vers l’homme endormi pour scruter ses traits voilés par la nuit. Un visage secret. J’étais sûre de le connaître, naguère. Avant l’arrivée de cette femme. Elle lui toucha la joue. Maintenant, maro, tu la regardes… Tu ne me regardes pas comme ça… Elle porte l’enfant d’un autre, et tu ne peux détacher tes yeux d’elle.

Brutalement, le chon lui sembla se refermer sur elle. Elle enfila une tunique sans manches et rampa à l’extérieur.

La nuit était encore chaude. Aab était déjà couché et Zeb n’était plus qu’une perle argentée reposant sur la ligne sombre de l’horizon. L’aube était proche.

Le chon d’Aleytys était juste à côté du herret shemqyaten. Depuis le raid contre les tanchar, elle avait une position très spéciale dans le clan, pas vraiment zabyn, mais pas vraiment étrangère non plus. Raqat renifla sous une rage soudaine et courut entre le cercle de tentes.

Elle avait besoin de fuir toutes ces pensées qui flottaient dans la nuit. Elle saisit au passage un bout de bois et grimpa sur une petite hauteur, à peine une taupinière, au sommet de laquelle elle aplatit l’herbe avec son bâton pour chasser tout animal potentiellement dangereux.

Puis elle s’écroula, la tête entre les genoux, et pleura. Des sanglots presque étouffés lui secouèrent le corps. Tandis que Zeb disparaissait à l’occident, elle prit son souffle avec peine et s’essuya les yeux.

— Khas, marmonna-t-elle.

Elle sentit une présence et leva les yeux. Myawo était à quelques mètres, les mains sur les hanches, et la regardait. Elle lui adressa un regard de défi.

— Toi aussi, tu es venu te moquer de moi. Khem-sko ?

Elle sentit avec écœurement sa voix se casser au dernier mot. Elle s’éclaircit la gorge et cracha à ses pieds.

— Non, R’eRaqat.

Surprise, elle se raidit devant ce signe de respect. Elle tenta de déchiffrer son expression dans les ténèbres presque complètes désormais.

— Après tout, murmura-t-il, tu es zabya. (Il se rapprocha et se laissa tomber à côté d’elle.) Je suis un homme irascible, et rien ne me recommande auprès d’une femme. (Sa voix était devenue suave et la caressait comme des doigts soyeux.) Je suis indigné, tu sais, mari Raqat. (Sa voix était comme une musique dans son corps.) Je suis indigné de la présence de cette étrangère dans notre camp.

Il cessa de parler et fit courir ses doigts du haut en bas de son bras. Raqat se mit à respirer plus vite en sentant les muscles raides de ses épaules et de son cou se détendre sous les mains apaisantes. Avec un involontaire frisson, elle se tourna vers lui : il l’allongea sur le dos et continua d’ôter la tension qui habitait ses muscles. Quand elle fut douce et amollie, il fit passer ses lèvres sur son visage, plaça une main à l’intérieur de la tunique fermée et serra les pointes palpitantes de ses seins. De l’autre main, il remonta le bas de la tunique sur ses fesses et jusque sur la taille. Raqat soupira et écarta les genoux pour l’accueillir.

Un peu plus tard, elle soupira encore une fois, souleva la main qui reposait lourdement sur sa poitrine et la tint entre les siennes.

— Si seulement !… murmura-t-elle tristement. Si seulement tout pouvait redevenir comme avant !

En équilibre sur un coude. Myawo libéra sa main et lui caressa le menton tandis que sa bouche se tordait en un mauvais sourire.

— Débarrasse-toi d’elle ! lui glissa-t-il, tentateur, dans l’oreille.

Raqat le chassa d’un coup de coude. Elle se leva brutalement et le foudroya du regard.

— Je mettrais la main dans le feu pour te faire plaisir ? (Elle eut un rire féroce.) Pas la moindre chance. (Mais sa détermination faiblit quelque peu quand elle le vit s’asseoir en déroulant toute sa longueur.) Je ne pourrais pas. Les R’nenawatalawa…

Il tendit le bras et lui prit la main, puis déposa dessus toute une série de baisers.

— Il est des patrons plus puissants.

Se détendant sous les habiles caresses, Raqat se laissa aller mais hocha néanmoins dubitativement la tête.

— Pas pour une Shemqya, murmura-t-elle.

— Une Shemqya ayant la protection d’un Khem-sko ?

L’astuce innée de Raqat commença à se réaffirmer. Malgré le flot d’émotions qui bouillonnait en elle, elle se dégagea et demanda sèchement :

— Pourquoi ? Peu t’importe ce qui peut m’arriver !

Myawo redressa le dos, croisa les jambes et referma méticuleusement son shess. Ses yeux noirs et ronds étaient rivés sur les siens avec une force irrésistible.

— Le diadème. Je le veux.

La commissure des lèvres de Raqat se releva en un sourire fugitif. Elle affronta son regard sans broncher.

— Je le crois volontiers. (Puis elle hocha la tête, un léger regret peint sur les douces lignes de son visage.) Mais elle ne peut l’ôter.

— Si elle était morte… (Une voix douce comme la soie.)

— Les R’nenawatalawa la protègent. (Le désir luttait en elle contre la prudence.)

— Contre Mechenyat ?

Raqat reprit son souffle, la peur vibrant sévèrement dans tout son corps voluptueux.

— Le Lové, chuchota-t-elle en croisant les doigts des deux mains. Non ! fit-elle soudain… Non… (Mais, cette fois-ci, sa voix s’éteignit.)

— Avec le diadème (lui chuchota-t-il avec un sourire et en se penchant sur elle comme s’il eût voulu l’écraser de toutes ses forces ; puis il lui prit les mains et en caressa doucement la paume brûlante.) Avec le diadème, plus rien ne nous résistera, C’est tellement facile. Tellement facile ! Elle meurt. Le diadème me revient. Tu as ce que je veux. Je te protégerai, tu as ma parole. Je le jure sur Son nom. Tu auras le plus grand pouvoir de toutes les Shemqyatwe, plus grand encore que celui de Khateyat. Penses-y… pense… à tout ce que nous pourrons faire…

Son chuchotement mourut en un doux sifflement : l’imagination de la fille travaillerait maintenant à sa place.

Raqat s’arracha tout d’un coup à l’étreinte et bondit sur ses pieds.

— Non ! s’écria-t-elle.

Elle descendit la pente en courant, la jupe de sa tunique claquant bruyamment sur ses cuisses puissantes. Arrivée au herret, elle marqua une pause et s’appuya au coin pour reprendre son souffle. Lorsqu’elle releva les yeux, Aleytys se tenait devant elle.

— Il ne disait pas la vérité, fit calmement Aleytys.

— Tu m’as suivie ! (Raqat recula contre le flanc du chariot et s’accrocha à l’énorme roue arrière.)

— Non. Cela ne m’a pas été nécessaire. Raqat, je… je ne peux te faire de mal. Tu n’as pas encore compris que je ne suis pas ton ennemie ? (Aleytys se mordit la lèvre et se tordit les mains comme si celles-ci l’eussent terriblement démangée.) Il… il est en train de t’utiliser. Ne le laisse pas faire.

Raqat se redressa, le regard flamboyant.

— Laisse-moi encore une certaine dignité, femme. Te faut-il me dépouiller de tout ?

— Raqat…

Raqat s’écarta du chariot et passa à côté d’Aleytys, la laissant seule dans les ténèbres, la froide rosée sur les pieds et à l’âme un froid glacial.

Lorsque Hesh lança un éventail de lumière bleue à côté de Horli, Raqat se glissa vers le chariot d’eau, le regard braqué sur les cheveux blancs ébouriffés de Stavver. Il se retourna en l’entendant approcher.

— Esclave ! fit-elle.

Il la regarda en silence et posa les seaux de son joug pour que le ra-mayo puisse les remplir.

— Esclave. Esclave. Esclave. (Une voix stridente presque coupée d’un sanglot.) Tiens-toi à l’écart d’elle, tu entends ?

Stavver se baissa pour remettre le joug sur ses épaules. Elle le fit pivoter en le prenant par le bras.

— Regarde-moi. Tiens-toi à l’écart. Eh bien ? fit-elle, les lèvres tremblantes, comme il ne répondait pas.

Stavver haussa les épaules.

— Je t’entends, dit-il avec insolence avant de s’éloigner avec son fardeau.

Quand les feux furent bas, ce soir-là, Raqat se glissa hors de son chon et se rendit jusqu’à celui de Stavver. Elle fut soulagée de le trouver seul, allongé nu sur le cuir. Elle s’approcha et le secoua.

— Stavver, chuchota-t-elle d’une voix pressante.

Il marmonna et ronfla. Elle le secoua encore. Il cligna des yeux.

— Qu’est…

— Stavver, c’est moi. Raqat.

Il se redressa, le visage pincé en un renfrognement irrité.

— Raqat ? Merde, ne peux-tu me laisser dormir un peu ? (Il bâilla et s’étira.) Quelle heure est-il ?

— Je ne sais pas. Tard. Cela a-t-il de l’importance ? (Elle l’empoigna de ses mains brûlantes.) Stavver, j’ai besoin de toi !

La commissure de ses lèvres s’abaissa en une déplaisante grimace.

— Que se passe-t-il quand un esclave refuse d’obéir à un ordre ? demanda-t-il d’une voix froide et insultante.

Raqat s’humecta les lèvres.

— Ce… cela dépend. On peut le tuer.

La voix emplie de mépris, Stavver annonça lentement :

— Ote ton cul de là avant que je te fiche dehors à coups de pied.

— Stavver…

— Vas-y. Raconte au clan que je ne peux plus te supporter. Et regarde bien leur grimace quand ils iront assister à l’exécution. (Il lui adressa un sourire cruel.)

Gémissant comme un sesmat malade, elle tourna sur les genoux et sortit du chon puis courut à l’aveuglette avant d’emboutir un corps mince.

— Toi ! (Ses mains se transformèrent en griffes devant le visage d’Aleytys.)

Aleytys lui prit les bras par les poignets et les tint jusqu’à ce que Raqat éclate en sanglots sous les émotions qui faisaient rage en elle.

Aleytys la fit s’allonger sous son étreinte tendre, la réconfortant comme elle eût réconforté Twanit au cours de l’une de ses crises de larmes.

— Chut… ce n’est pas si grave ! Nombreux sont ceux qui t’aiment, Qati. Qati, oh, silence, ma chérie ! Tu es plus forte que tu ne l’imagines. Tu n’es pas seule, ma petite. Mmm… mmm… le temps guérit ce genre de blessures. C’est un voleur, un étranger…

Tout en caressant le dos frissonnant, Aleytys sentait la souffrance interne de la jeune fille. Elle essaya de la réconforter, puis se tendit mentalement pour la guérir, la calmer, pour que Raqat ressente empathiquement la paix dans son âme tourmentée.

Elle inspira longuement et en tremblant, puis s’écarta d’Aleytys.

— Pourquoi… comment peux-tu… ?

— Touche ma main, lui dit Aleytys en la lui tendant.

Elle s’agenouilla doucement, les genoux contre ceux de Raqat, les yeux plongés dans les siens.

Au bout d’une minute d’hésitation, Raqat toucha de ses doigts la paume étroite.

— Que ressens-tu ?

Raqat se renfrogna. Elle arracha sa main avec impatience.

— Tu sais ce que je ressens.

— Oui. Et davantage que tu ne l’imagines. (Aleytys poussa un soupir.) Je ne peux rien y faire, tu sais. Je n’ai pas l’intention de fouiner. Mais je ressens ce que tu ressens, aussi comment puis-je ne pas avoir mal quand tu as mal ? Je t’en prie. Je peux t’aider. Me le permets-tu ?

Raqat bondit.

— Je ne veux aucune aide. Tiens-toi à l’écart, tiens-toi à l’écart de mon esprit !

— Raqat… (Aleytys se leva et tendit les mains.) Je t’en prie.

En hésitant, à contrecœur, Raqat reposa ses doigts dans les paumes d’Aleytys, puis ferma les yeux en sentant la chaleur et la quiétude se déverser comme du miel sur son âme troublée.

Plusieurs minutes, les deux femmes restèrent comme des statues dans le clair de lunes argenté, muettes, immobiles, respirant à peine. Puis Raqat poussa un long soupir et se libéra doucement.

— Je… je te remercie, Aleytys.

— Raqat…

— Qu’y a-t-il ?

— Méfie-toi du Khem-sko. Je t’en supplie.

Raqat éclata de rire et retourna avec lassitude vers son chon.

Le Diadème des Etoiles
titlepage.xhtml
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_000.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_001.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_002.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_003.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_004.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_005.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_006.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_007.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_008.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_009.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_010.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_011.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_012.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_013.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_014.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_015.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_016.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_017.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_018.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_019.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_020.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_021.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_022.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_023.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_024.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_025.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_026.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_027.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_028.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_029.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_030.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_031.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_032.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_033.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_034.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_035.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_036.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_037.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_038.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_039.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_040.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_041.htm
Clayton,Jo-[Diademe-1]Le Diademe des Etoiles.French.ebook.Evaness3_split_042.htm